« C’est bizarre qu’elle ne s’exprime pas encore…elle a deux ans pourtant » Ta mère s’inquiétait pour toi. Elle se demandait si tu n’avais pas quelque chose dans ton petit cerveau, un petit disfonctionnement ou autre… Ton père lui, disait que c’était inutile, que tu allais bientôt dire tes premiers mots qui seraient sans doute ‘papa ‘ et ‘maman’. Alors ta mère se sentait rassurée et posait son regard sur la petite fille que tu étais. Sauf qu'elle avait raison de s’inquiéter. Déjà à ta naissance, tu n’avais pas été un nourrisson habituel : tu pleurais peu mais tu babillais peu aussi. Par contre, tu avais un magnifique sourire. Un sourire d’ange. Un sourire qui faisait la joie de tes parents. Mais tu restais tout de même un bébé très calme et peu capricieux. A quatre ans, tu avais bien grandis, mais tu ne disais toujours rien. Lorsque tu jouais avec ton jeu de cubes colorés favoris, tu souriais mais aucun son ne parvenait de toi. Tes parents entendaient simplement le cliquetis des cubes qui s’empilait. Parfois tu applaudissais ton œuvre. Mais jamais tu ne parlais. Jamais tu n’avais prononcé un mot.
Jamais tu ne prononcerais quoique ce soit.
○○○ ○ ○○○ ○ ○○○ ○ ○○○
« Je suis désolé madame…mais votre petite fille n’aura jamais la parole…elle est muette. C’est pour ça que je voulais vous voir… »Ta mère t’avais fait passer un simple bilan médical. Un rapide check-up pour vérifier si tout allait bien. Elle se doutait que tu avais un problème. Elle pensait simplement à entendre que tu étais une petite fille très réservée, discrète et peu bavarde. C’est pour cela qu’elle disait que tu avais du mal à t’exprimer. Mais elle ne s’était pas préparée à ça. Oh non elle n’était pas prête à entendre ce genre de chose. Sa petite poupée muette? Impossible. Pour ta mère, c’était inconcevable. Mais il fallait se rendre à l’évidence : Tu n’étais pas une petite fille comme les autres. Tu ne seras jamais quelqu’un comme les autres. Tu serais muette pour le restant de ta vie. Sauf qu’à 7 ans à peine, tu ne comprenais pas vraiment tout ce qui arrivait et tu ne mesurais pas la gravité de ton cas.
Certes tu n’allais pas mourir mais la vie ne t’avait pas donné une véritable chance de réussir.
○○○ ○ ○○○ ○ ○○○ ○ ○○○
« Maman, je veux plus jamais manger d’animaux de ma vie ! »Ces mots, c’était la première fois que tu avais pensé au végétarisme. Mais d’où t’étais venue cette pensée ? Avais-tu regardé un reportage traumatisant pour ton âge ? Ça, on ne le saura jamais. Ce qui est sûr, c’est que ta mère avait regardé les signes inscrits sur ta petite ardoise longuement, puis avait embrassé avec tendresse ton petit front. Le lendemain, pensant que tu avais déjà oublié ta petite lubie, elle tenta de te servir et de te faire la viande. Mais ta lubie n’en était pas une. Tu étais réellement décidé à ne plus manger aucune viande et aucun poisson de ta vie. Cette décision prise alors que tu n’avais que dix ans. Tu fis la moue devant ton assiette et ta mère saisissait le message.
Depuis ce jour, tu n’avais jamais retouché à la viande.
○○○ ○ ○○○ ○ ○○○ ○ ○○○
« P’pa il est où hein ?! »Sur ton ardoise, était écrite cette question. Tu savais que parler de ton père était un sujet tabou. Mais à 15 ans, tu tentais de capter l’attention de ta mère. Et puis tu connaissais bien la réponse. Tu voulais en parler. Tu voulais te libérer. Tu avais besoin de t’exprimer même si ce n’était qu’avec une tablette électronique. Seulement, dès que tu remettais le sujet sur table, c’est comme si ta mère devenait muette elle aussi. Depuis quelques temps, depuis la disparition de ton père plus précisément, ta génitrice te délaissait et était de plus en plus absente spirituellement. Et ce comportement t’agaçait. Car contrairement aux autres jeunes filles de ta période, toi tu avais besoin de ta mère plus que tout. Tous ses changements corporels et ton père qui était parti… Tu ne comprenais pas. Tu étais larguée. Et ta mère qui se renfermait sur elle-même, ça ne t’aidais pas.
Ce n’est pas encore maintenant que tu comprendrais ce qu’est souffrir…
○○○ ○ ○○○ ○ ○○○ ○ ○○○
Ce jour-là, aura été un jour bien rempli pour toi. Un jour que tu n’oublieras certainement jamais. Un jour qui marquera la fin d’une vie et le commencement d’une autre. Tu devais avoir 18 ans. Après les cours, parce que oui tu as fait des études même si tu savais qu’elles ne te serviraient à rien puisque avec ou sans diplôme personne n’accepterait une muette dans son entreprise, comme d’habitude tu allais marcher tranquillement dans le parc avant de rentrer chez toi. Car tu savais ce qui t’attendais une fois chez toi : Tu seras obligé de t’occuper de ta mère qui était tombée dans une dépression. Alors cette marche était pour toi un moyen de respirer avant d’affronter tes problèmes. Tu te pensais seule comme d’habitude. Sauf que cette fois-ci ce n’était pas le cas : Quelqu’un était installé sur un banc et te dévorais des yeux pour ainsi dire. Cette personne n’était pas n’importe qui : un dénicheur de mannequin. Et il pensait avoir trouvé en toi, une nouvelle beauté. Toi tu continuais de marcher sans te douter de quoi que ce soit, le visage respirant la joie, la sérénité. Jusqu’à ce que tu passes devant lui.
« Mademoiselle ? Vous auriez deux minutes pour moi ? »Il t’avait abordé sans hésiter une seconde. Il s’était placé devant toi et te fixais. Tu avais été un peu surprise mais tu t’étais mise à lui sourire en acquiesçant. S’ensuivit un long discours duquel tu avais pu retenir l’essentiel : Ce type souhaitait devenir ton manager et toi tu deviendrais son mannequin. Il attendait maintenant une réponse : Lorsque tu sortis un papier pour écrire et qu’il comprenait que tu étais muette, ça ne le fit pas reculer pour autant. Ta réponse était un peu hésitante. Et puis, le type t’avait expliqué qu'il fallait que tu déménages pour te rapprocher de lui ou quelque chose du genre… Pink Opal Resort… Ce nom sonnait bien à tes oreilles. Mais tu n’étais pas prête à quitter ta mère. Et elle avait besoin de toi, enfin c’est ce que tu croyais…Mais l’homme semblait patient et en lisant ton papier, il te donna une carte de visite au cas où tu changerais d’avis. Puis il partit et te laissais seule avec tes pensées. Assise sur le banc, tu réfléchissais : Aurais-tu une vie meilleure si tu acceptais ? Et ta mère ? Que va-t-elle devenir ? Elle avait besoin de toi… Tu décidais alors qu’il était temps de rentrer.
Arrivée devant la porte de chez toi, tu t’attendais à voir ta mère recroquevillée sur le canapé, fixant la télé avec un regard vide…comme d’habitude. Sauf qu’en ouvrant la porte et en t’avançant jusqu’au salon, tu découvris la pièce plongée dans le noir… Un mauvais pressentiment t’envahissait. Et tu avais raison : Tu allumais la lumière et tu regrettais vite ton geste. Le corps de ta mère avec à côté un flacon vide de médicaments jonchaient le sol. Ta mère s’était suicidée. Tes jambes, soudainement, ne pouvaient plus porter ton corps devenu lourd. Tu tombais à genou fixant le sol. Tu tremblais et tu voulais pleurer. Aucunes larmes ne coulaient. Mais tu avais du mal à respirer. Tu te relevais et te traînais avec peine jusqu’à ta chambre. Tu t’écroulais de nouveau sur ton lit et cette fois-ci tu arrivais à pleurer. Tu pleurais silencieusement. Tu ne te calmais qu’une heure après. En pleurant, tu t’étais mis à réfléchir et à prendre une décision conséquente : Tu ne pouvais pas rester ici et tu ne voulais plus. Tu n’avais plus rien à faire ici. Tu allais donc accepter la proposition du type du parc. Tu sortis la carte de visite puis ton portable et tu envoyais un message. Ta décision était prise : Tu allais devenir mannequin et vivre loin de Séoul.
Bienvenue au Pink Opal Resort Sung Ra…